Aquarium, David Vann

Couverture de Aquarium, de David Vann
"Tout est possible avec un parent. Les parents sont des dieux. Ils nous font et nous détruisent. Ils déforment le monde, le recréent à leur manière et c'est ce monde-là qu'on connaît ensuite, pour toujours. C'est le seul monde. On est incapable de voir à quoi d'autre il pourrait ressembler."

"La fin, aussi, de l’amour simple et entier envers ma mère. Les limites de mon propre pardon" 
 
"Le pire, dans l’enfance, c’est de ne pas savoir que les mauvais moments ont une fin, que le temps passe. Un instant terrible pour un enfant plane avec une sorte d’éternité, insoutenable. La colère de ma mère s’étirait à l’infini, une rage à laquelle nous n’échapperions jamais."  

J'ai découvert cet auteur avec Sukkwan Island (lisez-le!). En attendant de lire son nouveau roman, je suis tombée sur celui-ci par hasard, et je me suis empressée de le mettre sur ma liseuse.

Dans Sukkwan Island, David Vann avait dépeint les liens compliqués entre un père et son fils, dans un huis-clos angoissant. Un livre de "nature writing" splendide, où la beauté de l'Alaska sauvage se mêle à la noirceur de l'âme humaine, pour nous livrer un roman à la respiration haletante.

Dans Aquarium, pas de grands espaces, pas de nature hostile. La nature ici, se limite à l'aquarium de Seattle, où Caitlin, 13 ans, passe tous ses après-midis une fois l'école terminée. Elle suit la lente et apaisante procession des poissons, le nez collé à la vitre, imaginant se fondre avec eux dans les eaux sombres. Peut-être rêve-t-elle d'échapper pour quelques heures à sa vie un peu monotone avec sa maman Sheri, mère célibataire, aimante mais forcée de travailler plus que de raison pour subvenir à leurs besoins et payer le loyer de leur très modeste appartement. Une virée qui ressemble à un leitmotiv rassurant, une bulle de légèreté qu'elle peine à trouver à l'extérieur, hormis dans son amitié avec sa camarade Shalini. L'hostilité, elle, va se matérialiser en la personne de ce vieil homme que la jeune fille va rencontrer lors de ses échappées à l'aquarium, et qui semble partager la même passion qu'elle pour les poissons. 

Mais cet homme n'est pas un inconnu et son apparition n'a rien de providentiel. La vie bien orchestrée de Caitlin et sa mère va basculer lorsque Caitlin va découvrir ce qui les unit à ce personnage. L'adolescente va être confrontée au lourd passé de sa mère de la manière la plus vivante qui soit, puisqu'elle va devoir l'expérimenter à son tour. Une véritable mise à l'épreuve de l'amour simple et inconditionnel qui les reliait jusqu'alors, pour tenter d'aboutir sur un pardon qui semble impossible. Chaque protagoniste va devoir se débattre avec ses démons pour espérer retrouver une certaine harmonie : une enfance volée, une mauvaise décision que l'on regrette, la quête de ses racines...

Encore une fois, David Vann explore les liens familiaux, à travers la relation qui unit Caitlin à sa mère. Un roman plutôt court mais très intense, où l'auteur pousse ses personnages et ses lecteurs au bout de leurs limites, dans des scènes dérangeantes, d'une grande violence psychologique. La mise à jour du passé tragique de Sheri, est le prétexte pour explorer de manière profonde les thèmes du pardon, de la perte de l'adolescence, de la découverte de la sexualité, de la renaissance, et pour tenter de démêler le mystère des liens familiaux et la complexité des rapports humains. 
 
Un livre choc, résonnant comme un cri, une ode à l'enfance, qui alterne brillamment les scènes crues et froides et d'autres à la douceur apaisante, qui parviennent à la fois à nous apporter la bouffée d'oxygène salvatrice et la petit pointe d'angoisse qui nous fait dire "oh non... qu'est-ce qui va arriver de terrible après cela?" On ne sait pas trop comment cela va se terminer. J'avais encore Sukkwan Island bien présent en tête, et j'étais consciente qu'avec cet auteur je n'étais pas à l'abri du pire. Au fil des pages, l'atmosphère s'alourdit, le malaise est de plus en plus palpable, et la frontière avec la folie s'amenuise. J'ai particulièrement aimé le fait que le récit demeure tout le long sur ce point d'équilibre fragile où tout est encore possible, le meilleur comme le pire.
Cet auteur a un don réel pour nous surprendre et décrire magnifiquement les tourments et les angoisses de l'enfance/adolescence (je pense par exemple à la scène avec les bonhommes de neige).

Un livre que je conseille pour l'espoir qu'il parvient à distiller malgré la noirceur qui l'habite. Et vous l'aurez compris, je vous conseille peut-être plus encore "Sukkwan Island", pour la raison inverse et un twist  qui vous mettra K.O. (je pense que tous les lecteurs se souviendront longtemps de la page 113) ! Aquarium est une belle lecture, le coup de coeur n'est pas loin. Il aurait été sans doute au rendez-vous avec une fin un peu moins lisse.

2 commentaires:

  1. Heureusement que tu termines sur une note d’espoir, quelle noirceur ressort de ce livre !

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    1. Alors mon poste est à l'image du livre... Il va très loin niveau dureté mais.... il reste une petite lumière, dans l'amour et le pardon !

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